dimanche 7 avril 2013

GEORGES IBRAHIM ABDALLAH: UNE VENGEANCE D'ETAT

(fr) Organisation Communiste Libertarie - Courant Alternatif CA #227 -

GEORGES IBRAHIM ABDALLAH: UNE VENGEANCE D’ÉTAT

Date Tue, 02 Apr 2013 11:53:47 +0300


Georges Ibrahim Abdallah est prisonnier des geôles françaises depuis 1984 soit 28 longues années, il est pourtant libérable théoriquement depuis 1999. Le 10 janvier 2013, la chambre d'application des peines de Paris, examinant son cas, a accédé à la huitième demande de libération présentée par ses avocats en la conditionnant cependant à un arrêté d'expulsion du territoire français. A ce jour (l’article est rédigé le 23 janvier) cet arrêté n’a toujours pas été pris. ---- Raconter l’histoire de Georges Ibrahim Abdallah c’est se replonger dans l’histoire des années 80, c’est revenir aux temps des oppositions Est/Ouest et des magouilles de l’état français au proche orient, mais c’est encore aborder la question carcérale, celle des longues peines et de la vengeance d’État, enfin c’est poser le problème de la violence révolutionnaire et de la lutte armée.

LES ANNÉES 80 ET LES ATTENTATS EN FRANCE

En cette année 1982, la France est frappée par toute une série d’attentat les uns perpétrés par Carlos et sa bande, les autres par le groupe d’Abou Nidal(1) mais aussi par une organisation inconnue jusqu’alors les FARL (Fraction Armée Révolutionnaires Libanaise) le tout dans un contexte géopolitique internationale très troublé.

Tout commence en novembre 1981, un homme tire sur un diplomate américain Christian Chapman, celui-ci est blessé mais s’en sort. Deux mois plus tard en janvier 1982 Charles R. Ray, attaché militaire de l’ambassade américaine à Paris, mais aussi on l’apprendra, plus tard lieutenant colonel des services secrets de l’armée américaine est assassiné. En avril 1982 Yacov Barsimentov, diplomate israélien (et membre du Mossad) est lui aussi victime d’un attentat à Paris. Les deux attentats sont revendiqués depuis Beyrouth par les FARL. Le gouvernement israélien à l’époque dirigé par Itzhak Shamir réagit tres vivement et utilisera le meurtre de son diplomate, ainsi qu’une tentative d’attentat contre son ambassadeur à Londres, pour justifier de l’invasion du sud Liban (l’opération bien mal nommée Paix en Gallilée), accusé de servir de base de repli aux combattants palestiniens. C’est lors de l’occupation de Beyrouth qu’auront lieu en décembre 1982 les massacres de Sabra et Chatila.

Les FARL revendiqueront également le mitraillage de la mission d’achat israélienne, et au mois d’août 82 en tentant de désamorcer une bombe sous la voiture du conseiller commercial de l’ambassade des US deux démineurs trouvent la mort dans l’explosion de l’engin. Enfin en décembre 82, une voiture de l’ambassade israélienne explose à Paris devant le lycée Carnot.

Puis après un an de silence c’est en mars 84 que les FARL se manifestent a nouveau en blessant grièvement par arme à feu le consul général des Etats-Unis à Strasbourg.

Dès le début de l'enquête les services du contre espionnage français bénéficieront de nombreux renseignements, émanant à la fois du Mossad et d’informateurs anonymes; c’est sur dénonciation que leur sera donné le nom de Georges Ibrahim Abdallah et sa localisation géographique : Lyon.

La DST le repère, et l’appréhende le 24 octobre 1984, mais hormis la possession d’un «vrai faux passeport» algérien on ne trouve rien à lui reprocher, il est donc inculpé de faux et d’usage de faux en mars 1985. Le 23 avril 1985, les FARL enlèvent Gilles Sidney Peyrolles, attaché culturel de la France à Tripoli et fils de l’écrivain Gilles Perrault pour réclamer la libération de leur chef. Yves Bonnet le patron de la DST négocie avec les services secrets algériens (directement avec le colonel Lakehal Ayat, directeur de la Sécurité militaire). L'échange est sur le point d'aboutir mais la découverte, sur dénonciation une fois encore, dans une des planque des FARL, de l’ arme ayant servi à abattre Charles Ray et Yacov Barsimentov a raison de cet arrangement. Aussi Georges Ibrahim Abdallah est condamné dans un premier temps à 4 ans de prison pour détention d'armes et de faux papiers puis, à la perpétuité par la cour d'assises spéciale pour complicité d'assassinat le 28 février 1987. Georges s’il na jamais donné de détails sur les faits reprochés, a assumé les attentats des FARL en les présentant comme des actes de résistance.

QUELLE SOLIDARITÉ?

Il n’est pas nécessaire de savoir si Abdallah est responsable des actes qui lui sont reprochés, au vu des faits et de l’acharnement judiciaire, il est clairement la victime d’une vengeance d’Etat et c’est à ce titre que notre solidarité doit se manifester. La reprise de la mobilisation autour d’Abdallah(2), si elle est bienvenue, pose tout de même problème. En choisissant de revendiquer un anti impérialisme le plus plat et le plus atemporel qui soit, en usant d’une rhétorique de martyr, la solidarité témoignée passe à coté de plein de choses et perd même son caractère subversif.

N’aurait-il pas été plus porteur d’élargir le cas de Georges à celui des longues peines (3) afin de dénoncer l’acharnement de la justice et de l’administration pénitentiaire, pour enfin faire tomber cette distinction imbécile entre prisonniers politiques et sociaux et questionner ainsi le rôle de la prison dans son ensemble ? N’était-il pas plus profitable de faire un retour critique sur cette période, quitte à fâcher pour enfin faire le bilan de cette stratégie, celle de la lutte armée ?

La violence et la lutte armée ne sont pas des problèmes moraux mais bien politiques ; les actions violentes qu’elles soient collectives ou individuelles, ne sont pas intrinsèquement le signe d’une radicalité ; le fait est qu’elles se placent d’emblée sur le terrain de l’illégalité, l’Etat possédant le monopole de la violence légitime.

L’important est donc le rapport que la lutte armée entretient avec des groupes sociaux déterminés. Les actes deviennent alors parlants par eux-mêmes, ils n’ont plus besoin d’aucun relais pour indiquer ce qu’ils visaient, ils renvoient aux témoins sans ambiguïté, l’image de leur propre oppression et de leurs propres possibilités de réponses ; ils font voir la situation et la force sociale, ils sont en rapport avec la dynamique qui les a vu naître. Dans le cas contraire, des groupes usant de la lutte armée, ne peuvent que suivre leur propre dynamique, leur propre logique interne, en refusant d’admettre que les luttes ne peuvent pas être provoquées par la volonté de quelques militants : ils se posent alors seuls dans un rapport de forces avec l’Etat, illusoire militairement et propices au pires manipulations et instrumentalisations.

Cet échec des formes de la lutte armée des années 80, est totalement lié à la culture politique de ces groupes. Une culture autoritaire, imprégnée d’idéologie marxiste léniniste porteuse de dérives, privilégiant les actions au détriment du débat, au risque de déraper vers une spécialisation militaire de la violence et aboutissant à une conception dirigiste de la révolution et à ne plus suivre que sa logique propre.

On souhaite tout de même à Georges de retrouver le plus vite possible ses montagnes de Qoubaiyat.

1) Abou Nidal de son vrai nom Sabri al-Banna fondateur du Fatah commandement révolutionnaire il se transforme rapidement en mercenaire des pays arabes. On le retrouve mort dans sa chambre d’hôtel à Bagdad en 1982.

(2) Un blog liberonsgeorges.overblog.com un livre Georges Ibrahim Abdallah Edition Al Dante – 15 € tente de sensibiliser au cas de celui-ci

(3) En 2006,  dix détenus de la centrale de Clairvaux, condamnés à la réclusion perpétuelle et ayant effectué plus de 25 ans de prison, interpellaient publiquement l’Etat en réclamant, pour ce qui les concernait, le rétablissement officiel de la peine de mort.
Pascal Clément, alors ministre de la Justice, avait répondu, dans ce qui se voulait être un trait d’humour :  « Chiche ! »

Jean Mouloud


End of A-infos-fr Digest, Vol 96, Issue 2 *****************************************

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire