Traité anti-contrefaçon : l'agriculture concernée aussi ?
Et si le traité ACTA ne frappait pas que vos disques durs, mais aussi vos assiettes ? Avec ce texte, l'Europe pourrait bien déclarer la guerre à la contrefaçon du vivant. Certes, les mots « semences » ou « agriculture » n’apparaissent pas dans l'ACTA (Accord commercial anti-contrefaçon). Mais en y regardant de plus près, le texte entend protéger « tous les secteurs de la propriété intellectuelle qui font l’objet des sections 1 à 7 de la Partie II de l’Accord sur les "Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce" (ADPIC), dont le brevet ».
Des plantes, des animaux ou les médicaments sont eux aussi sous brevet. Donc, a priori, aucune différence de traitement entre des sacs à main et des sachets de semences. C’est cette ambiguïté que dénonce Sandrine Bélier, députée d’Europe Ecologie - Les Verts (EELV) au Parlement européen. « Bien sûr, on pourrait nous dire que c’est de la science-fiction. Mais ACTA échappe aux règles démocratiques. Ce traité est négocié en secret depuis trois ans. Quand il a été signé le 26 janvier (par la Commission européenne et par l’exécutif de 22 pays, ndlr), les députés n’avaient toujours pas connaissance du texte. On a dû se battre pour la transparence. C’est pourquoi nous restons dans une vision floue. Nous n’avons aucune garantie. »
Des sanctions lourdes
ACTA ne concernerait qu’une minorité de ces semences agricoles, celles qui sont protégées par un brevet. Mais leur nombre est en constante hausse. En principe, dans l’Union européenne, la production et l’utilisation des semences sont protégées par un Certificat d’obtention végétale (COV).
Plus souple que le brevet, il offre une certaine liberté aux semenciers et agriculteurs. Il permet ainsi à tout sélectionneur d’employer librement une variété protégée pour en créer une autre, une utilisation libre à titre expérimental sans production.
Quant à l’agriculteur, il peut - sous conditions restreintes - garder une partie de ses semences pour l’année suivante. Ce système, instauré en 1968, a contribué à freiner le monopole de grands groupes semenciers.
De plus en plus de fruits ou de légumes brevetés en Europe
Conséquence : « Si un gène à l’intérieur d’une graine est breveté, c’est toute la graine qui est protégée par le droit. Les semences, les fruits, légumes issus de ces procédés brevetés le sont aussi », constate Anne-Charlotte Moy, juriste au sein du réseau Semences paysannes.
Pas moins de 1 800 brevets ont été accordés sur des plantes par l’Office européen des brevets (OEB), selon la coalition militante « No patents on seeds » Dans le domaine agricole, il s’agit essentiellement de légumes ou de fruits. Récemment, l’autorisation a été attribuée à des melons de la firme agrochimique Monsanto. A force de pétitions et d’invectives à l’initiative de « No patents on seeds », la grande Chambre des recours de l’OEB a néanmoins annulé plusieurs brevets, sur le brocoli par exemple.
Chaque année, près de 150 demandes de brevets parviennent à l’OEB, pour des plantes non génétiquement modifiées. Les brevets sont majoritairement demandés par des multinationales comme Monsanto ou Syngenta. Une preuve de plus que ces grandes firmes ont tout à gagner dans l’application d’un traité mondial protégeant la contrefaçon.
Lorsque des semences sont protégées à la fois par un COV et un brevet, « il est très probable que la protection du brevet prévaudra sur celle du COV », commente Etienne Wéry. L’eurodéputée Sandrine Bélier s’est mobilisée contre le traité. Elle fait partie des examinateurs du texte au sein de la Commission environnement du Parlement européen. « La notion de contrefaçon est inappropriée au vivant, dénonce-t-elle. Elle est adaptée uniquement aux biens matériels, pour lesquels les abus sont bien réels. » « Les Etats-Unis et les firmes américaines ont beaucoup à y gagner pour renforcer leur monopole », poursuit l’eurodéputée. Elle soupçonne « des intérêts communs entre les multinationales Monsanto et [le géant de l’informatique] Microsoft, dont la fondation agit pour développer des OGM en Afrique. »
Le régime du brevet controversé en France
Le risque de contamination est un autre des reproches opposés au brevet sur le vivant. Et donc l’un des points épineux d’une éventuelle application du traité ACTA. Si le champ d’un agriculteur est contaminé par une semence brevetée, qui paiera ? Cette hypothèse n’est pas fantaisiste et même plus large, comme le montre le cas de l’interdiction au sein de l’UE de miel contenant une infime partie d’OGM.
En France, le régime du brevet est controversé même chez les industriels, qui défendent la liberté de recherche. « Si certaines ressources génétiques sont confisquées, comment la création variétale pourra-t-elle se poursuivre ? Actuellement, seul le COV garantit cet accès aux ressources », peut-on lire sur le site du Groupement national interprofessionnel des semences et plantes (GNIS). Pour autant, son directeur des affaires extérieures François Burgaud ne voit pas ACTA comme une menace, dans un milieu « où les choses se règlent facilement », autrement dit à l’amiable. « L’action en contrefaçon est un stade vraiment ultime. Je ne pense pas que les choses changent », commente ce représentant des sélectionneurs et semenciers français.
Pour que ce traité anti-contrefaçon entre en vigueur dans les 22 pays signataires de l’UE, il devra être ratifié par le Parlement européen en juin. Il sera examiné en commission dès le mois de mars. Néanmoins, le processus, en proie à de violentes oppositions, voire gelé par certains pays, est très compromis. Dernier rebondissement en date : le 22 février, la Commission européenne a saisi la Cour de justice européenne, qui devra statuer « sur une quelconque incompatibilité d’ACTA avec les droits et libertés fondamentaux de l’UE ».
Cet article de Anaïs Gerbaud a initialement été publié le sur terraeco.net
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